Connaissez-vous le filtrage en peigne ? Sous sa forme la plus simple, c’est le phénomène qui se produit lorsqu’un même signal dupliqué est perçu simultanément avec un retard de l’ordre de quelques ms. Au-delà de 50ms environ, on perçoit le signal dupliqué avec un décalage audible, à la manière d’un écho. En-dessous de ce seuil de discrimination de 50ms, que se passe t-il ? Des modifications du spectre sont observées à intervalles réguliers. Une suite de bosse et de creux caractéristiques se profile alors, prenant la forme d’un peigne, d’où le nom de ce type de filtrage.
Ce phénomène peut se produire en de multiples occasions dans le monde réel :
- entre 2 micros à distance différente d’une même source (ex : un micro cravate et un micro canon pointés vers le même comédien ; prise de son guitare proche + ambiance)
- dans un concert de plein air de grande envergure, entre des enceintes de facades et des rappels, en particulier si les lignes à retard pour compenser le temps de déplacement du son ne sont pas bien réglées.
- En mixage, l’effet haas (stéréo temporelle) sur des guitares rythmiques (décalage de quelques ms entre les canaux droit et gauche), très flatteur en stéréo, produit un déphasage lors d’une réduction mono (poste radio).
- Certains pédales de guitare utilise se procédé pour transformer le son : c’est le cas de l’intro de « Ain’t talkin’ about love » de Van Halen, où l’on entend une pédale « phaser ».
- Dans une pièce aux murs réfléchissants, le son provenant d’une source comme un chaine hi-fi est « dupliqué » après sa réflexion sur chaque mur. L’auditeur perçoit la combinaison de ces sources décalées dans le temps.
Agissant dans le domaine fréquentiel et altérant le timbre perçu des sources sonores, ce phénomène menace donc la précision de l’écoute dans un contexte de home studio. Il ne faut certainement pas le minimiser ou le rejeter d’un revers de la main en se disant « ce ne doit pas être si grave et de toute façon j’ai de bons moniteurs ».
Le graphique ci-dessous représente le filtrage en peigne qui se produit entre 2kHz et 10 kHz dans le home studio de 15m2 dont je fais en ce moment l’optimisation acoustique. Des creux de 40dB… Êtes-vous toujours sûrs de faire confiance à vos moniteurs à 3000€ ?
Egaliser vos moniteurs ? L’égalisation ne marche qu’en un point ; bougez la tête de quelques centimètres et la réponse fréquentielle change : à 5000Hz, la longueur d’onde est de 7cm. Pour régler ce problème, seul le traitement acoustique est possible.
Comprendre l’apparition du filtrage en peigne en home studio : chaque mur non traité est une source sonore secondaire.
Observons les coefficients d’absorption par bande de fréquences d’un mur en plâtre. Rappel : 0=entièrement réfléchissant ; 1=entièrement absorbant (l’équivalent d’une fenêtre ouverte)
125Hz | 250Hz | 500Hz | 1kHz | 2kHz | >4kHz | |
0.013 | 0.015 | 0.02 | 0.03 | 0.04 | 0.05 |
Quelle que soit la bande de fréquence, l’absorption est donc quasi-nulle, c’est à dire que le mur va renvoyer l’intégralité ou presque de l’énergie acoustique qui lui parvient. En conséquence, il se comportera comme un émetteur « secondaire », les émetteurs « primaires » étant les sources sonores elles-même (enceintes ou instruments). Le mur en plâtre renverra un son semblable à la source, à un détail près : il arrivera aux oreilles avec un retard égal à la différence de temps entre le signal direct et le signal réfléchi par la paroi. On pourrait penser que cette différence est tellement petite, de l’ordre de quelques ms, qu’elle n’a aucun impact… Que nenni ! Il faut rapprocher cette différence de durée de la période des sons.
Quelques millisecondes qui font une grosse différence !
Prenons un exemple. Dans mon home-studio, il y a une différence de parcours au point d’écoute de 2 mètres entre le son direct et la première réflexion latérale. A 340m/s, le son parcourt 2m en 6 ms environ. La fréquence dont la période est de 6ms (soit 166Hz) arrivera donc en phase, provoquant une amplification de cette fréquence au point d’écoute. La fréquence dont la moitié de la période correspond à cette durée de 6ms (soit 83Hz) arrivera donc en opposition de phase entre le son direct et cette première réflexion. Or, le phénomène va se répéter pour chaque multiple de ces 2 fréquences (phase et hors phase, autrement dit décalage de 360° ou de 180°), créant cette alternance caractéristique du filtrage en peigne.
Comment y remédier : en absorbant l’énergie sonore si la zone est critique (premières réflexions entre la source et l’auditeur) ou en la diffusant de manière chaotique à l’aide de diffuseurs, ce qui sera le sujet d’un prochain article.
Si vous comprenez l’anglais, regardez la vidéo de Realtraps sur le sujet. Elle comporte des extraits audio très explicites après la seconde moitié.
Et vous, connaissiez-vous ce phénomène du filtrage en peigne ? En aviez-vous conscience ? L’aviez-vous déjà expérimenté ?
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damienbihel
janvier 1, 2013
C’est un principe physique plutôt exploité en optique avec des lasers (une seule fréquence).
Son nom est l’interférométrie et permet de faire des mesures de l’ordre d’une longueur d’onde (à savoir de 500 à 800 nm pour le spectre visible)
La lumière vient de la même source, le faisceau est divisé en 2 trajets, mais il y’en a un des 2 qui est plus long. Du coup, l’onde lumineuse arrive en opposition de phase.
En plus claire, de la lumière + de la lumière = du noir.
C’est un principe utilisé pour les SONARS, ou pour la recherche spatiale.
Xavier Collet
janvier 2, 2013
Merci pour tes lumières !
Fabien
janvier 5, 2013
Ce procédé est également utilisé en acoustique pour faire du contrôle actif : http://fr.wikipedia.org/wiki/Contr%C3%B4le_actif_du_bruit
Et il me semble que certains chercheurs du LAUM tentent de trouver comment l’implémenter dans les réacteurs d’avion !
Xavier Collet
janvier 5, 2013
Le filtrage en peigne fait suite à un décalage temporel et n’annule pas les fréquences avec autant de précision que ne le fait la réduction de bruit active, qui en principe émet le même son en opposition de phase au temps T (passé la latence du système). C’est pourquoi il est je crois plus efficace sur l’ensemble du spectre qu’un simple déphasage produisant le filtrage en peigne.
Fabien
janvier 5, 2013
J’ajoute qu’on peut également utiliser ce principe en situation de production, dans le contexte du sampling. Il est possible d’enlever certaines pistes sur le mix complet d’un morceau, de manière à isoler un son intéressant. Mais ça reste quand même très compliqué dans la mesure où
1) il faut trouver exactement la même boucle avec et sans le son qui nous intéresse
2) Il faut caler à l’échantillon prêt la partie « sans » sur la partie « avec », avant d’inverser la phase du premier et de les additionner
En revanche, ça marche relativement bien sur les basses fréquences qui ont des longueurs d’ondes plus grandes et nécessitent moins de précision.
Xavier Collet
janvier 5, 2013
Dès que tu as des fréquences qui se superposent, tu « manges » du signal utile non, comme avec les plugs type Z Noise ? Je me demande si des algoritmes comme ceux de Melodyne, qui repère des « patterns » de partiels, ne seraient pas plus adaptés pour faire ce genre de choses ?
damienbihel
janvier 10, 2013
Il me semble, qu’il existe une méthode pour extraire la voix d’un morceau.
Il y a une histoire de panoramique et d’opposition de phase.
Xavier Collet
janvier 10, 2013
Tout à fait. Cela existe dans Audition : http://help.adobe.com/fr_FR/audition/cs/using/WS58a04a822e3e5010548241038980c2c5-7f02.html#WS58a04a822e3e5010548241038980c2c5-7ef8 ; mais il n’y a pas de miracles. Si d’autres instruments sont au centre, ils vont être touchés.