En mars 2010, Ian McGregor, designer sonore et enseignant à l’université Napier d’Edimbourg posait sur le site communautaire social sound design la question des meilleures utilisations du silence au cinéma. Cela attira mon attention et je lus les quelques 36 réponses que lui donnèrent les membres de ce site avant de regarder certains des films ou extraits cités que je n’avais pas encore vus (dont le magistral « There will be blood » de Paul Thomas Anderson). A la réflexion, je me suis dit qu’il serait intéressant de répartir en catégories les exemples donnés par les contributeurs afin d’enrichir notre boite à outils théoriques de designer sonore.
Pour amorcer ce billet, je voudrais vous faire part de cette magnifique définition du silence en musique d’André Souris que j’ai retrouvée cité dans le manuel pratique d’analyse auditive de Georges Guillard.
« Le silence est par rapport au son ce que le vide est par rapport au plein. Il est le climat originel, la donnée première, la nécessité fondamentale sans laquelle la musique ne pourrait exister… L’activité de ce silence est comparable à celle du blanc sur la page d’un livre…quelque chose comme son champ magnétique.
Il y aurait lieu d’interpréter tous les styles musicaux en fonction du rôle qu’y joue le silence. »
On peut aisément sortir cette citation du domaine musical stricto sensu et la transférer à celui du cinéma. Le silence y est également l’espace primordial sur lequel viennent se poser des figures : dialogues, bruitages, ambiances. Au-delà, il constitue, souvent par contraste au bruit susceptible de l’amener ou de le rompre, un élément narratif à part entière, un point d’écoute (ou de surdité) d’un personnage, un élément de tension voire un pur geste esthétique.
Le silence de 2001 : caractéristique physique objective ou faire-valoir musical ?
Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler qu’il ne peut y avoir de dispersion du son que dans un milieu matériel. C’est pour cette raison que dans le vide spatial, aucun son ne peut être ni émis, ni transmis, ni reçu. Si bien souvent le cinéma de science-fiction ne s’est pas embarrassé de cette donnée physique élémentaire pour des raisons esthétiques (Star Wars en premier lieu), un film fait exception. Dans 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, les conditions du vide spatial sont en effet respectées, laissant toute leur place à la puissance grandiloquente du Zarathustra de Richard Strauss, à la majesté légère du Beau Danube bleu de son homonyme Johann ou à la profondeur métaphysique du Requiem de Ligeti. Je vous invite à consulter le chapitre qui est consacré à la musique de ce film dans l’ouvrage de William Whittington, souvent cité sur ce blog : « sound design and science fiction« . L’auteur y explique en quoi ce choix audacieux a révolutionné le rapport musique/image au cinéma.
Je vous invite par ailleurs à réécouter sans l’image un extrait du requiem de Ligeti, qui est une des oeuvres majeures du XXème siècle. Il est toujours amusant de constater combien la musique dite « contemporaine » peut faire merveille à l’image et en même temps vider les salles de concerts !
Le silence de Drive : de la discrétion à la tension
Dans le cinéma de genre en particulier, mais pas seulement, le pseudo-silence est utilisé comme élément de tension. Il n’est pas tant efficace par son l’absence de sons qu’il manifeste que pour sa capacité à trahir au contraire les moindres bruits (ceux de respiration notamment), à exciter la spéculation sur leur provenance, à créer un contraste avec l’impact, la détonation, voire le coup de téléphone inattendu qui vient le rompre. Les exemples fourmillent. Dans le récent « Drive » de Nicolas Winding, la scène d’échappée du premier braquage est emblématique. Le silence concerne le bruit du moteur de la voiture, qui à plusieurs reprises, est purement est simplement absent du mixage, alors que le moteur n’est pas coupé (voir l’excellente interview de Lou Bender, le supervising sound editor). Une manière très astucieuse de marquer la tension de la scène par la mise en valeur des bruits connexes (radio de la police, tic-tac de la montre, respiration du braqueur…) et l’impératif de discrétion afin d’échapper à la police. En creux, ce silence exprime également le sang-froid et le self control qu’arbore invariablement le visage du héros.
Enfin, la puissance dramatique des sons de « respiration » trouve son paroxysme dans les scènes de déminage de « The Hurt Locker ». Le scaphandre facteur de claustrophobie (comme dans Alien), l’écoute subjective (sons de l’extérieur filtrés), l’imminence d’une explosion potentielle aux conséquences mortelles : tout justifie le recours à ce silence trahi par la peur des réactions organiques.
La réalisation sonore de cette scène est tout simplement exceptionnelle ! Différents points d’écoute, perspective, rupture temporelle de l’explosion… Tout y est dosé avec doigté et intelligence.
Dans une échelle temporelle plus resserrée, le fameux audio black hole imaginé par Ben Burtt, que l’on entend au cours de la poursuite dans le champ d’astéroïde (épisode II) est également des plus astucieux : on « voit » le son avant de l’entendre ; un court instant de suspension temporelle où le silence absorbe tout et qui donne tout son pouvoir d’évocation à cette séquence.
Le silence de « There will be blood » : le son de la surdité
C’est presque devenu un cliché, mais son efficacité est telle qu’on peut encore l’entendre régulièrement : la sensation de surdité subjective qui fait suite à un évènement d’une intensité sonore extraordinaire. Dans « There will be blood« , le supposé fils de Daniel Plainview perd le sens de l’audition à la suite de l’explosion d’un derrick. A la suite de cette explosion et à plusieurs reprises dans le film, on entend le monde du point de vue du jeune garçon : acouphènes, bourdons, lèvres qui s’agitent dans le silence de sa perception etc.
On retrouve ce procédé dans « The Pianist » ou encore dans « Saving private Ryan« , ou là encore des explosions font place à une sensation de surdité simulée.
J’ai moi-même utilisé ce procédé dans le court métrage « cam2cam » de Davy Sihali en 2008 (dont j’ai assuré la post-production et le design sonore). A la 19ème minute, l’héroïne reçoit un coup violent à la tête. Pendant quelques secondes, le son est étouffé afin de rendre de manière subjective les conséquences auditives du choc, avant de revenir à la normale à la faveur d’un changement de plan.
Nous sommes encore loin d’avoir épuisé un sujet aussi vaste que celui du silence au cinéma. On pourrait citer le silence de certains personnages, qui leur confère une aura de mystère charismatique (dans les westerns notamment).
A la manière du John Cage de 4’33, Godard impose à son public une minute de « vrai » silence dans cette scène de « Bande à part », comme un geste esthétique de mise en abîme du medium cinéma chère à la nouvelle vague.
Et vous, quels exemples réussis d’utilisation du silence au cinéma vous ont marqué ou inspiré ? Quels autres rôles peut-il être amené à jouer ?
040280
février 20, 2012
Encore bravo pour ce billet.
Merci pour votre blog que je suis avec bcp d’intérêt.
Valéry H
Xavier Collet
février 20, 2012
Merci de vos encouragements toujours bienvenus.
TmH
mars 14, 2012
Bonjour!
Un article intéressant! Faudra que j’aille faire un tour sur social sound design.
C’est vrai que la question est vaste!!… D’autant que comme vous le soulignez le cinéma propose une « variété » de silences… Ce qu’écrit Guillard est très juste, le silence a quelque chose de magnétique, un vide actif, cadrant de focalisant… Cette blancheur de la page semble renvoyer à Mallarmé et son coup de dès… (http://diffusion.org.uk/wp-content/uploads/2009/07/mallarme.jpg)…
Il y a aussi le silence des films de Kioshi Kurosawa, (je pense à Séance par exemple, un extrait éloquent ici: http://www.youtube.com/watch?v=XbsdeHKOMq4), un silence « machine » qui accompagne les revenants qui aspire « la vitalité sonore » quotidienne, la « dessèche » en quelque sorte… peut être une métaphore sonore d’un froid dans le dos, qui sait…
En tout cas c’est bien là une création d’un « relief », un creux sonore qui nous fait mieux apprécier les détails des bosses et des collines…
Il y a le silence de « faire silence » aussi! Un refus de la parole, un mutisme assumé… dans la grande tradition d’un cinéma centré sur la parole, taire ce que l’on ne peut pas dire, afin de mieux le montrer et en parler de nouveau… 4’33 n’est elle pas plus une histoire de mutisme que de « silence »? Au cinéma, un personnage qui ne parle pas est un personnage qui écoute! (Sur ces questions du mutisme dans le cinéma contemporain voir Anthony Fiant in http://recherche.univ-montp3.fr/rirra21/images/stories/pdf/07FIANT.pdf et plus globalement Laplantine in Leçons de Cinéma pour notre époque (chapitres II et IV entre autre!)
Il me semble que ce silence verbal (ce refus, ou impossibilité du mot) (qui est peut être à raprocher avec un autre « extrême » verbal : le cri??? ) est une question vraiment importante en matière de « culture auditive cinéma »! ( Comme vous le remarquez le « Driver » est, tout comme Eastwood, « a man of few words »…
Est-ce que le silence (au cinéma) est l’acte de résistance sonore ultime (une prise d’autorité paradoxale du style « la liberté (ou la mort!) »?
Donc c’est vaste! Et passionnant, et bravo encore pour le post!
jack
avril 24, 2012
Article très intéressant. Moi j’ai le souvenir du début du « Samouraï » de Melville avec un silence fort long, un silence sans paroles surtout puisque on entend distinctement les sons du canari dans sa cage… Melville a réitéré me semble-t-il, lors de la longue scène du braquage dans « Le Casse ».
Sujet très vaste.
Bonne continuation
Namouchi Jabeur
janvier 16, 2013
article très intéressant , je vous remercie. en faite je suis étudiant en master recherche et cette année je travail sur le mutisme au cinéma alors je voulais jute vous demander si c’est possible de me conseiller des livres ou des articles ou des films que vous pensez qu’ils sont iutile pour mon mémoire. je vous remercie
Xavier Collet
janvier 16, 2013
Toute la question du son au cinéma a été traité en profondeur et avec inspiration par Michel Chion. Son ouvrage « l’audiovision » est sans doute une bonne entrée en matière. Le site filmsound.org regorge de contenu, d’interviews de professionnels et de théoriciens. C’est une excellent ressource. Enfin des makings off axés son sont disponibles sur soundworkscollection.com. Bon courage !